samedi 11 décembre 1999

INTERVIEW ACCORDEE PAR L’HONORABLE SAMUEL EFOUA MBOZO’O A CRTV-SUD LE 11-12-1999 avec le journaliste MARTIAL ONGONO.



M.O : Honorable Efoua Mbozo’o, vous êtes député RDPC à l’Assemblée Nationale aujourd’hui, membre titulaire du comité central de votre parti, Enseignant en histoire à l’Université, hier, vous étiez Secrétaire Général de l’Assemblée. C’est dire que vous avez une bonne expérience du fonctionnement de nos institutions politiques. En tant qu’acteur politique, quel regard jetez-vous sur le Cameroun politique et ses institutions à l’aube du 3è millénaire ?

S.E.M :  Votre question est fort complexe et malgré tous les titres que vous me reconnaissez, je doute que je puisse pour une interview radiodiffusée, faire le tour de la question en si peu de temps. Qu’à cela ne tienne ! je vais essayer de rire qu’il y a 1000 ans, au début de ce millénaire finissant, le Cameroun ou ce qui en tient lieu aujourd’hui, n’existait pas en tant que tel. Même le fameux « Char des dieux » dont a parlé le navigateur Carthaginois HANNON à l’issue de son périple vers l’an 470 avant notre ère à travers l’Afrique Occidentale jusqu’au Golfe de Guinée, « char des dieux » qu’on assimile aujourd’hui au Mont-Cameroun alors en éruption du temps de périple d’HANNON, on n’est pas sûr, sur le plan de la recherche historique que ce char des dieux était bel et bien le Mont Cameroun.
                 Je note donc que, en mille ans, on est parti de ‘’ zéro pays’’ dénommé Cameroun à une réalité sociopolitique : la République du Cameroun : avec un espace territorial bien délimité (475.000km2), avec une population estimée à 14 millions d’âmes et des institutions républicaines : une constitution, un gouvernement, une Assemblée Nationale, un conseil économique et social (bien que factice), un pouvoir judiciaire et j’en passe.
                 Quel regard porter sur le Cameroun politique et ses institutions à l’entrée du 3è millénaire ?
Je dis d’entrée de jeu à partir de ma modeste observation, que le Cameroun est un Etat jeune : 40 ans d’indépendance et quelle indépendance ! Me semblent assez peu pour qu’on puisse honnêtement parler d’une expérience Camerounaise en matière politique et institutionnelle. Il est vrai que, pendant ces 40 ans, le Cameroun a connu une variété d’expériences politiques et institutionnelles. La tentation serait donc grande de penser que le Cameroun est un pays mûr politiquement. Ces 40 ans, selon ma modeste observation, auront permis au Cameroun de chercher ses marques. Les a-t-il trouvées ? D ‘aucuns diront oui, d’autres non.
Très modestement, et je me résume, je note que le Cameroun, à la veille du 3è millénaire connaît une vie politique animée et je peux que m’en féliciter :
·         L’Etat cameroun, dans sa conception juridique est bel et bien là : avec une constitution et certaines institutions prévues par cette dernière qui fonctionnent à qui mieux mieux ;
·         La liberté s’expression et d’opinion consacrée par la loi fondamentale, est vécue dans la rue, dans les foyers, dans les associations (plus de 200 partis politiques), à l’Assemblée (7 partis représentés), dans la presse etc.…Certes, il ya parfois des égarements exprimés par l’intolérance. Cette liberté d’expression et d’opinion reste donc à parfaire de même que les droits de l’homme. Mais reconnaissons le fait qu’il existe déjà un Comité National de ces droits de l’Homme est déjà bien en soi.
·         Je note enfin que malgré la diversité des chapelles politiques, le Cameroun vit en paix. Ce qui est fondamentale et important lorsqu’on voit tout ce qui se fait comme guerres fratricides autour de nous. Et je crois que cette paix est nécessaire pour l’entrée au 3è millénaire ‘siècle de la vitesse par excellence qui ne tolérerait pas qu’on perde le temps à de vaines querelles ; bien au contraire, dans la paix, il faudrait canaliser toutes les énergies pour la lutte contre la pauvreté. Voilà ce que je peux dire pour cette question. Je m’excuse d’avoir été long.

MO : A quoi peut-on justement s’attendre sur le plan politique et institutionnel pour les prochaines années de ce 3è millénaire ?

SEM : Ecoutez ! Je ne suis ni prophète, ni devin. L’Evolution des choses dans notre pays ne dépend pas de ma seule et modeste conception, encore moins de ma seule et modeste personne.
Mais à écouter le discours politique des gouvernants, et à observer les acteurs de la vie politique, à voir le fonctionnement de nos institutions, on peut s’attendre logiquement à ce que les institutions prévues par la constitution de Janvier 1996 soient ‘’progressivement’’ mises sur pied dès le début du millénaire .Je dis bien et j’insiste sur ‘progressivement ‘’ pour me conformer à l’esprit et à la lettre de la loi fondamentale ;car , comme vous le savez , beaucoup d’institutions prévues par celle-ci ne sont pas encore établies :
·         La loi sur la décentralisation ou la régionalisation est attendue ;
·         Comme celle sur le fonctionnement des conseils régionaux et leur élection. Ce qui entraînera à coup sûr une modification des lois sur l’élection et le fonctionnement des conseils municipaux ;
·         La loi sur l’élection et le fonctionnement du Sénat, le Conseil Constitutionnel, la Cour des Comptes.
Voilà autant de choses qu’on peut en toute logique supposer qu’elles seront à l’ordre du jour dans les prochaines années. Ce n’est un secret pour personne, ce que je voudrais dire, c’est que ces textes seront déterminants pour l’évolution institutionnelle et politique du Cameroun. Ils nécessitent par conséquent une réflexion approfondie et sérieuse. Le Cameroun, comme vous le savez est un pays très complexe. Mais on a souvent tendance à l’oublier. I l est complexe de par son héritage colonial et de par sa diversité sociologique (ethnique, religieuse et culturelle). Mais il faut aussi reconnaître que c’est cette complexité, cette diversité qui font la chance de notre pays et justifiant son équilibre et sa stabilité.
Il faut donc éviter, autant que possible, de rompre cet équilibre brusquement sans courir le risque de créer de situations irréversibles. Alors Prudence ! Avançons prudemment mais sûrement. Evitons de mettre sur pied précipitamment des institutions mal pensées et mal conçues, car comme le dit un vieil adage : « le temps se moque de ce qu’on fait sans lui ! Attendre trop longtemps, ce n’est pas bon non plus « La nature a horreur du vide ». Et autour de nous les choses bougent. Faisons –le à notre rythme, en tenant compte de nos mentalités, de nos réalités sociopolitiques mais dans l’intérêt bien compris de tour le monde.

MO : Nous assistons à des affaires ces derniers mois qui mettent sur la sellette l’Assemblée Nationale et la justice Camerounaise. La séparation des pouvoirs va –telle atteindre sa vitesse de croisière ?

SEM : Je ne sais pas à quoi vous faites allusion : mettre quelqu’un sur la sellette, c’est l’interroger, le questionner comme un accusé ? De quoi accuse –t-on l’Assemblée et la justice Camerounaise ?
En ce qui concerne la séparation des pouvoirs, on ne peut souhaiter qu’elle se renforcer dans l’intérêt de la démocratie représentative.

MO : Qu’est-ce qui urge aujourd’hui sur le plan institutionnel ?

SEM : Qu’est ce qui urge sur le plan institutionnel ? Je vous renvoie à ce que j’ai dit plus haut. Pour ma part, l’urgence c’est la lutte contre la pauvreté tant morale que matérielle. Il faut redéfinir des valeurs et les vertus qui ont toujours, depuis la nuit des temps, précédé l’éclosion des grandes civilisations, des grands peuples : l’honnêteté, la franchise, l’abnégation, l’altruisme, le culte de l’effort, l’amour du travail, l’amour de la patrie. Ah l’amour de sa patrie. Rien de grand ne se peut se faire sans ces vertus morales. Il faut donc les inculquer à nos enfants et nous assurer qu’ils les appliquent. Le reste viendra puisqu’il n’y aura plus ni tricherie, ni démagogie, ni politique mensonge eau sens où l’entend SCHWAZERBERG.

MO : A quoi va ressembler le paysage politique (les partis politiques), sur combien de pôles pourra s’exprimer le jeu politique ?

SEM : Tout dépendra des programmes de société des uns et des autres. Ceux qui n’auront rien de concret à proposer au peuple Camerounais vont naturellement disparaître. Ceux qui auront quelque chose de sérieux à proposer vont perdurer et il appartiendra à chaque Camerounais d’adhérer au programme de société qui lui paraît adapté à la réalité et à ses convictions. Combien de pôles ? On ne saurait le présager. Wait and see

MO : Les repères sociologiques jusque là en vigueur vont-ils changer ?

SEM : Il faut qu’ils changent. Quels sont ces repères aujourd’hui ? Je ne sais pas si c’est à ceux là que vous pensiez en posant votre question. Mais pour ma part ces repères sont :


-          La politique politicienne ;
-          La démagogie ou la politique mensonge
-          La course effrénée au pouvoir
-          L’appât du gain facile
-          La corruption
-          Le clientélisme
-          Le tribalisme
    Par conséquent je dis, et c’est mon entière conviction que tant qu’on adhérera dans un parti politique parce que ce parti est au pouvoir, qu’il distribue les prébendes, tant qu’on adhérera dans un parti parce que les responsables de ce dernier sont de sa tribu et de sa région, rien ne changera. On assistera qu’a une guerre entre clans se disputant la vedette ou comme on dit se « disputant la mangeoire »
  Mais le jour où des programmes de société privilégiant le Cameroun dans leur conception comme dans leur application seront les seuls repères pour la conquête du pouvoir, ce jour-là, dise-je, on pourrait alors penser que les choses ont changé. Ce n’est pas facile, je le sais. Car les forces de pesanteur, les forces d’inertie et rétrogrades ont la peau dure. Mais il faut espérer et faut lutter pour qu’elles cessent.

MO : quel rôle devra jouer la presse dans la démocratie camerounaise ?

Samuel Efoua Mbozoo : un rôle de premier plan, dois-je dire. Vous êtes les historiens du présent qui préparez l’avenir. Vous devez donc informer sur le présent pour préparer l’avenir. Votre rôle d’éducateur st dans notre pays primordial. Toutes les couches sociales ne savent pas encore lire les langues étrangères devenues nationales. Vous devez les éduquez en les informant dans nos langues nationales. Au même titre que le maître à l’école, que le parent en famille explique à l’élève on a l’enfant lorsque ce dernier pose une question sur le monde qu’il découvre, vous devez à votre tour expliquer à nos concitoyens qui n’ont pas la chance d’acheter un journal, d’acheter une télé, mais qui peuvent parfois écouter la radio chez le voisin, vous devez leur expliquer, dise-je, le pourquoi et le comment des informations que vous portez à leur connaissance. Cela suppose que vous même, le journaliste lui-même vous êtes au fait de ce dont vous parlez, de ce sur quoi vous écrivez, c’est-à-dire que vous faites de l’investigation. Journalisme d’investigation, j’en ai entendu déjà parler dans notre pays.
      Lorsque vous aurez bien expliqué, bien informé, sans parti pris, vous verrez que vos lecteurs, vos téléspectateurs, vos auditeurs se feront eux-mêmes une idée exacte de l’information dispensée. Vous aurez rendu grand service à la démocratie camerounaise naissante.

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