M.O :
Honorable Efoua Mbozo’o, vous êtes député RDPC à l’Assemblée Nationale aujourd’hui,
membre titulaire du comité central de votre parti, Enseignant en histoire à
l’Université, hier, vous étiez Secrétaire Général de l’Assemblée. C’est dire
que vous avez une bonne expérience du fonctionnement de nos institutions
politiques. En tant qu’acteur politique, quel regard jetez-vous sur le Cameroun
politique et ses institutions à l’aube du 3è millénaire ?
S.E.M : Votre question est fort complexe et malgré
tous les titres que vous me reconnaissez, je doute que je puisse pour une
interview radiodiffusée, faire le tour de la question en si peu de temps. Qu’à
cela ne tienne ! je vais essayer de rire qu’il y a 1000 ans, au début de
ce millénaire finissant, le Cameroun ou ce qui en tient lieu aujourd’hui,
n’existait pas en tant que tel. Même le fameux « Char des
dieux » dont a parlé le navigateur Carthaginois HANNON à l’issue de son
périple vers l’an 470 avant notre ère à travers l’Afrique Occidentale jusqu’au
Golfe de Guinée, « char des dieux » qu’on assimile aujourd’hui
au Mont-Cameroun alors en éruption du temps de périple d’HANNON, on n’est pas
sûr, sur le plan de la recherche historique que ce char des dieux était bel et
bien le Mont Cameroun.
Je note donc que, en mille ans,
on est parti de ‘’ zéro pays’’ dénommé Cameroun à une réalité
sociopolitique : la République du Cameroun : avec un espace
territorial bien délimité (475.000km2), avec une population estimée à 14
millions d’âmes et des institutions républicaines : une constitution, un gouvernement,
une Assemblée Nationale, un conseil économique et social (bien que factice), un
pouvoir judiciaire et j’en passe.
Quel regard porter sur le Cameroun
politique et ses institutions à l’entrée du 3è millénaire ?
Je dis d’entrée de jeu à
partir de ma modeste observation, que le Cameroun est un Etat jeune : 40
ans d’indépendance et quelle indépendance ! Me semblent assez peu pour
qu’on puisse honnêtement parler d’une expérience Camerounaise en matière
politique et institutionnelle. Il est vrai que, pendant ces 40 ans, le Cameroun
a connu une variété d’expériences politiques et institutionnelles. La tentation
serait donc grande de penser que le Cameroun est un pays mûr politiquement. Ces
40 ans, selon ma modeste observation, auront permis au Cameroun de chercher ses
marques. Les a-t-il trouvées ? D ‘aucuns diront oui, d’autres non.
Très modestement, et je
me résume, je note que le Cameroun, à la veille du 3è millénaire connaît une
vie politique animée et je peux que m’en féliciter :
·
L’Etat cameroun, dans sa conception
juridique est bel et bien là : avec une constitution et certaines
institutions prévues par cette dernière qui fonctionnent à qui mieux
mieux ;
·
La liberté s’expression et d’opinion
consacrée par la loi fondamentale, est vécue dans la rue, dans les foyers, dans
les associations (plus de 200 partis politiques), à l’Assemblée (7 partis
représentés), dans la presse etc.…Certes, il ya parfois des égarements exprimés
par l’intolérance. Cette liberté d’expression et d’opinion reste donc à
parfaire de même que les droits de l’homme. Mais reconnaissons le fait qu’il
existe déjà un Comité National de ces droits de l’Homme est déjà bien en soi.
·
Je note enfin que malgré la diversité des
chapelles politiques, le Cameroun vit en paix. Ce qui est fondamentale et
important lorsqu’on voit tout ce qui se fait comme guerres fratricides autour
de nous. Et je crois que cette paix est nécessaire pour l’entrée au 3è
millénaire ‘siècle de la vitesse par excellence qui ne tolérerait pas qu’on
perde le temps à de vaines querelles ; bien au contraire, dans la paix, il
faudrait canaliser toutes les énergies pour la lutte contre la pauvreté. Voilà
ce que je peux dire pour cette question. Je m’excuse d’avoir été long.
MO :
A quoi peut-on justement s’attendre sur le plan politique et institutionnel pour
les prochaines années de ce 3è millénaire ?
SEM :
Ecoutez ! Je ne suis ni prophète, ni devin. L’Evolution des choses dans
notre pays ne dépend pas de ma seule et modeste conception, encore moins de ma
seule et modeste personne.
Mais à écouter le discours politique des gouvernants,
et à observer les acteurs de la vie politique, à voir le fonctionnement de nos
institutions, on peut s’attendre logiquement à ce que les institutions prévues
par la constitution de Janvier 1996 soient ‘’progressivement’’ mises sur pied
dès le début du millénaire .Je dis bien et j’insiste sur ‘progressivement ‘’
pour me conformer à l’esprit et à la lettre de la loi fondamentale ;car ,
comme vous le savez , beaucoup d’institutions prévues par celle-ci ne sont pas
encore établies :
·
La loi sur la décentralisation ou la
régionalisation est attendue ;
·
Comme celle sur le fonctionnement des
conseils régionaux et leur élection. Ce qui entraînera à coup sûr une
modification des lois sur l’élection et le fonctionnement des conseils municipaux ;
·
La loi sur l’élection et le fonctionnement
du Sénat, le Conseil Constitutionnel, la Cour des Comptes.
Voilà autant de choses qu’on peut en toute logique
supposer qu’elles seront à l’ordre du jour dans les prochaines années. Ce n’est
un secret pour personne, ce que je voudrais dire, c’est que ces textes seront
déterminants pour l’évolution institutionnelle et politique du Cameroun. Ils
nécessitent par conséquent une réflexion approfondie et sérieuse. Le Cameroun,
comme vous le savez est un pays très complexe. Mais on a souvent tendance à
l’oublier. I l est complexe de par son héritage colonial et de par sa diversité
sociologique (ethnique, religieuse et culturelle). Mais il faut aussi
reconnaître que c’est cette complexité, cette diversité qui font la chance de
notre pays et justifiant son équilibre et sa stabilité.
Il faut donc éviter,
autant que possible, de rompre cet équilibre brusquement sans courir le risque
de créer de situations irréversibles. Alors Prudence ! Avançons prudemment
mais sûrement. Evitons de mettre sur pied précipitamment des institutions mal
pensées et mal conçues, car comme le dit un vieil adage : « le
temps se moque de ce qu’on fait sans lui ! Attendre trop longtemps, ce n’est
pas bon non plus « La nature a horreur du vide ». Et autour de nous
les choses bougent. Faisons –le à notre rythme, en tenant compte de nos
mentalités, de nos réalités sociopolitiques mais dans l’intérêt bien compris de
tour le monde.
MO :
Nous assistons à des affaires ces derniers mois qui mettent sur la sellette
l’Assemblée Nationale et la justice Camerounaise. La séparation des pouvoirs va
–telle atteindre sa vitesse de croisière ?
SEM :
Je ne sais pas à quoi vous faites allusion : mettre quelqu’un sur la
sellette, c’est l’interroger, le questionner comme un accusé ? De quoi
accuse –t-on l’Assemblée et la justice Camerounaise ?
En ce qui concerne la
séparation des pouvoirs, on ne peut souhaiter qu’elle se renforcer dans
l’intérêt de la démocratie représentative.
MO :
Qu’est-ce qui urge aujourd’hui sur le plan institutionnel ?
SEM :
Qu’est ce qui urge sur le plan institutionnel ? Je vous renvoie à ce que
j’ai dit plus haut. Pour ma part, l’urgence c’est la lutte contre la pauvreté
tant morale que matérielle. Il faut redéfinir des valeurs et les vertus qui ont
toujours, depuis la nuit des temps, précédé l’éclosion des grandes civilisations,
des grands peuples : l’honnêteté, la franchise, l’abnégation, l’altruisme,
le culte de l’effort, l’amour du travail, l’amour de la patrie. Ah l’amour de
sa patrie. Rien de grand ne se peut se faire sans ces vertus morales. Il faut
donc les inculquer à nos enfants et nous assurer qu’ils les appliquent. Le
reste viendra puisqu’il n’y aura plus ni tricherie, ni démagogie, ni politique
mensonge eau sens où l’entend SCHWAZERBERG.
MO :
A quoi va ressembler le paysage politique (les partis politiques), sur combien
de pôles pourra s’exprimer le jeu politique ?
SEM :
Tout dépendra des programmes de société des uns et des autres. Ceux qui
n’auront rien de concret à proposer au peuple Camerounais vont naturellement disparaître.
Ceux qui auront quelque chose de sérieux à proposer vont perdurer et il
appartiendra à chaque Camerounais d’adhérer au programme de société qui lui
paraît adapté à la réalité et à ses convictions. Combien de pôles ? On ne
saurait le présager. Wait and see
MO :
Les repères sociologiques jusque là en vigueur vont-ils changer ?
SEM :
Il faut qu’ils changent. Quels sont ces repères aujourd’hui ? Je ne sais
pas si c’est à ceux là que vous pensiez en posant votre question. Mais pour ma
part ces repères sont :
-
La politique politicienne ;
-
La démagogie ou la politique mensonge
-
La course effrénée au pouvoir
-
L’appât du gain facile
-
La corruption
-
Le clientélisme
-
Le tribalisme
Par conséquent je dis, et c’est mon entière
conviction que tant qu’on adhérera dans un parti politique parce que ce parti
est au pouvoir, qu’il distribue les prébendes, tant qu’on adhérera dans un
parti parce que les responsables de ce dernier sont de sa tribu et de sa
région, rien ne changera. On assistera qu’a une guerre entre clans se disputant
la vedette ou comme on dit se « disputant la mangeoire »
Mais le jour où des programmes de société
privilégiant le Cameroun dans leur conception comme dans leur application
seront les seuls repères pour la conquête du pouvoir, ce jour-là, dise-je, on
pourrait alors penser que les choses ont changé. Ce n’est pas facile, je le
sais. Car les forces de pesanteur, les forces d’inertie et rétrogrades ont la
peau dure. Mais il faut espérer et faut lutter pour qu’elles cessent.
MO :
quel
rôle devra jouer la presse dans la démocratie camerounaise ?
Samuel
Efoua Mbozoo : un rôle de premier plan, dois-je dire.
Vous êtes les historiens du présent qui préparez l’avenir. Vous devez donc
informer sur le présent pour préparer l’avenir. Votre rôle d’éducateur st dans
notre pays primordial. Toutes les couches sociales ne savent pas encore lire
les langues étrangères devenues nationales. Vous devez les éduquez en les
informant dans nos langues nationales. Au même titre que le maître à l’école,
que le parent en famille explique à l’élève on a l’enfant lorsque ce dernier
pose une question sur le monde qu’il découvre, vous devez à votre tour
expliquer à nos concitoyens qui n’ont pas la chance d’acheter un journal, d’acheter
une télé, mais qui peuvent parfois écouter la radio chez le voisin, vous devez
leur expliquer, dise-je, le pourquoi et le comment des informations que vous
portez à leur connaissance. Cela suppose que vous même, le journaliste lui-même
vous êtes au fait de ce dont vous parlez, de ce sur quoi vous écrivez,
c’est-à-dire que vous faites de l’investigation. Journalisme d’investigation,
j’en ai entendu déjà parler dans notre pays.
Lorsque vous aurez bien expliqué, bien
informé, sans parti pris, vous verrez que vos lecteurs, vos téléspectateurs,
vos auditeurs se feront eux-mêmes une idée exacte de l’information dispensée.
Vous aurez rendu grand service à la démocratie camerounaise naissante.
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