Lauréate du 45ème Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire
Décerné par l’Association des Ecrivains de Langue Française
Edition 2005
Exposé liminaire du Dr Samuel EFOUA MBOZO’O,
Modérateur
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Je
me sens à la fois honoré et embarrassé d’être ici ce soir parmi vous
comme modérateur de ces entretiens avec Véronique Tadjo, ici présente,
Lauréate du 45ème grand prix littéraire de l’Afrique Noire, décerné en
décembre dernier par l’Association des Ecrivains de la langue
française au titre de l’année 2005 pour son œuvre : Reine POKOU, éditée
par Actes Sud dans la série « Afriques » dirigée par Bernard Magnier.
Je
disais que j’étais honoré de jouer ici ce soir le rôle de modérateur,
car, il y a un mois exactement, j’allais dire jour pour jour, je
débarquai en Afrique du Sud, non plus en universitaire que je suis, mais
plutôt en diplomate africain, pour prendre service au Parlement
Panafricain, comme Secrétaire Général Adjoint en charge des Affaires
Législatives. Et un mois après, me voici au milieu d’un aréopage aussi
distingué pour animer notre causerie avec Véronique ce soir. C’est donc
pour moi un grand honneur ; de tout cœur je dis merci aux organisateurs
de cette rencontre.
Mais je suis tout aussi embarrassé, car
Historien et Politologue de formation, je me sens quelque peu mal dans
ma peau, s’agissant des entretiens qui portent sur une œuvre littéraire
pure, sur un roman. Mais à bien réfléchir, l’œuvre qui nous intéresse
ce soir a pour source d’inspiration, l’histoire et plus précisément
l’histoire des migrations africaines, l’histoire des peuples africains.
Je puis donc dire que je ne suis pas totalement dépaysé.
Après
ce prologue, j’en viens maintenant au vif du sujet qui nous intéresse ce
soir : les Entretiens avec Véronique TADJO vont se dérouler comme suit :
- Présentation de l’auteur et de son œuvre en général ;
- Présentation de l’œuvre primée : Reine POKOU ;
- Mot de l’auteur ;
- Echanges ou entretiens proprement dits.
A. QUI EST VERONIQUE TADJO ?
Véronique
est née à Paris (France) d’un père ivoirien et d’une mère française.
Elle a passé toute son enfance et fait l’essentiel de ses études à
Abidjan, puis s’est spécialisée dans le domaine anglo-américain à la
Sorbonne, Paris IV. Sa thèse de doctorat 3ème cycle porte justement sur
le processus d’acculturation des Noirs à travers l’esclavage. Elle a
enseigné au département d’Anglais de l’Université Nationale de Côte
d’Ivoire jusqu’en 1993.
Elle a vécu par la suite aux Etats-Unis,
au Mexique, au Nigeria, au Kenya et en Grande-Bretagne. Elle réside
actuellement à Johannesbourg.
Véronique est poète, romancière et auteur de livres de la jeunesse qu’elle illustre elle-même.
S’agissant
de la littérature pour la jeunesse, Véronique s’est lancée dans cette
voie, il y a une dizaine d’années, pour apporter sa contribution à
l’émergence d’une production africaine. Elle a, à cet effet, animé
plusieurs ateliers d’écriture et d’illustration, notamment au Mali, au
Bénin, au Tchad, en Haïti, à l’Ile Maurice et au Rwanda.
Sans être exhaustif, nous citerons, parmi la quinzaine de titres pour la jeunesse :
- La chanson de la vie (recueil de contes et nouvelles), Hatier, 1989
- Mamy Wata et le monstre (illustré), NEI, 1993, Prix Unicef
- Le Seigneur de la danse, NEI, 1993
- Le grain de maïs magique, NEI, 1995
- Talking drums (anthologie de poésie africaine au Sud du Sahara) en anglais pour la jeunesse A & C, Black, 2000
- Si j’étais roi, si j’étais reine (livre illustré), NEI, 2004
Traduit en anglais, Milet, 20
- Signalons que : ● Mamy Wata et le monstre
• Le grain de maïs magique
• Et Grand-mère Nanan existent en 8 versions bilingues.
En poésie, Véronique a publié :
-
Latérites (poèmes), Hatier, 1984, œuvre qui a reçu avant son édition le
prix littéraire 1983 de l’Agence de Coopération Culturelle et
Technique.
- A-mi chemin, l’Harmattan, 2000
Comme romancière, Véronique a écrit successivement :
- Le royaume Aveugle, l’harmattan, coll. Encres noires, 1991
- Le vol d’oiseau, l’harmattan, coll. Encres noirs, 1992
- Champ de bataille et d’Amour, Présences Africaines/NEI, 1999
A
la suite d’une résidence d’écriture au Rwanda, elle a rapporté de son
séjour un texte « L’Ombre d’Imana-voyages jusqu’au bout du Rwanda »
(Récit) publié les éditions Actes Sud en septembre 2000.
- Last but
not the least : Reine POKOU, concerto pour un sacrifice, Actes Sud,
2005. Sa dernière parution qui a donc valu à l’auteur d’être la
lauréate du 45ème grand prix littéraire de l’Afrique Noire, ed. 2005.
Tout
à l’heure, je passerai la parole à l’auteur pour qu’elle parle de son
œuvre et des motivations de celle-ci. Mais souffrez que je me risque à
en donner la quintessence. Véronique, tout à l’heure, pourra dire, si
j’ai, oui ou non, bien interprété sa pensée.
B. REINE POKOU – CONCERTO POUR UN SACRIFICE
Véronique
part d’une légende historique dont l’origine se situe aux environs du
18ème siècle, celle d’une certaine Abraha POKOU, reine baoulé du
puissant royaume Ashanti, qui dut s’enfuir avec ses partisans hors de
Kumasi, capitale dudit royaume, à la suite d’une guerre de succession.
Au cours de l’exode, les fugitifs furent arrêtés par un grand fleuve qui
leur barrait la route. Pour sauver son peuple poursuivi par l’armée du
roi usurpateur, POKOU donna son fils en sacrifice en le jetant dans le
fleuve. Les fugitifs purent alors traverser le fleuve pour s’installer
sur un nouveau territoire, devenu aujourd’hui la Côte d’Ivoire. Tel est
donc le fonds historique dont s’est inspiré Véronique pour écrire son
récit.
Mais ce qui frappe le lecteur en lisant cette œuvre, c’est
que l’auteur donne plusieurs versions de la légende dont une où la
reine POKOU choisit de ne pas sacrifier son enfant, mais où elle est
plutôt vendue aux esclavagistes et emportée aux lointaines amériques.
Dans
une autre version, la reine POKOU devient un personnage tragique et
funeste, une reine assoiffée de pouvoir, ne lésinant sur aucun moyen
pour asseoir son règne.
On est donc loin de l’image de la Madone
Noire, de l’héroïne – amazone que la légende véhicule. Et c’est cela la
spécificité de cette œuvre : l’auteur a voulu jeter un autre regard,
critique celui-là, sur le personnage de POKOU, car comme elle le dit
elle-même dans le prologue de ce roman :
« Plusieurs décennies plus
tard, la violence et la guerre déferlèrent dans notre vie, rendant
brusquement le futur incertain ; POKOU m’apparut alors sous un jour
beaucoup plus funeste, celle d’une reine assoiffée de pouvoir, écoutant
des voix occultes et prêtes à tout pour asseoir son règne ».
Par
là, l’auteur interroge la légende pour expliquer le présent, celui du
contexte ivoirien actuel ; comme elle le dit, répondant à un
journaliste, la reine POKOU est la reine fondatrice du royaume baoulé,
dont se réclame le peuple baoulé qui revendique par ailleurs représenter
le « seul véritable peuple ivoirien ». Or, quand on interroge
l’histoire à travers cette légende, on se rend compte que le peuple
baoulé vient du Ghana. La légende voudrait donc montrer que tous les
peuples ont traversé les frontières, que la Côte d’Ivoire, comme la
plupart des pays africains, sont des peuples de migrations. D’où le
questionnement de l’auteur dans son roman : « Le fleuve était-il bien
un fleuve ? L’armée du roi n’était-elle pas en quelque sorte ce raz-de
marée dans lequel POKOU et ses partisans allaient se noyer ? Et l’enfant
? Etait-ce véritablement un enfant ? Ne symbolisait-il pas plutôt ce
que le peuple a de plus cher et qu’il fallait céder, abandonner pour
ouvrir un passage entre les rangs de cette puissante armée » ?
Bref
! L’auteur a voulu questionner la tradition orale et le mythe qui peut
se résumer en une seule phrase : « POKOU a dû sacrifier son (seul)
enfant pour sauver son peuple ». Mais peut-on sacrifier son enfant pour
sauver son peule ? Car cet acte peut être aussi considéré comme un
infanticide ou comme un symbole. Et c’est ici qu’intervient le message
de l’auteur, faire une relecture de la légende par rapport aux
contemporains ; l’auteur part de l’imaginaire à la réalité : elle voit
dans le sacrifice de l’enfant de la reine la situation de la jeunesse
africaine en général et celle de la Côte d’Ivoire en particulier, une
jeunesse prise en otage aujourd’hui dans le conflit ivoirien et dans les
conflits africains en général. Dans nos pays aujourd’hui, il n’y a
aucun avenir pour nos jeunes. Ils n’ont qu’une obsession : partir. Le
désespoir et la frustration se traduisent en violence que des hommes
politiques manipulent. Que va devenir cette jeunesse ? A-t-on le droit
de la sacrifier comme cela ? Pour quelle cause ? Voilà autant
questions que se pose l’auteur et qui lui font dire qu’il n’il y a pas
de raisons assez nobles pour justifier un infanticide.
En somme,
toute une relecture de la légende pour l’adapter à la vie de tous les
jours. C’est cela aussi le rôle du romancier qui ne se limite pas à sa
seule imagination fertile mais qui veut surtout traduire cette
imagination en mode de vie concret pour un mieux-être des hommes, ses
contemporains.
Je vous remercie.
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