SOUTENANCE PUBLIQUE
Yaoundé, le 20 octobre 2004
EXPOSE LIMINAIRE DE L'AUTEUR
Monsieur le Président du Jury,
Eminents Professeurs, membres du Jury,
Distingué Professeur, rapporteur de la thèse
Mesdames, Messieurs,
La thèse que nous présentons et soutenons publiquement aujourd'hui est
l'aboutissement d'une vingtaine d'années de recherches intenses et
soutenues.
En 1984, lorsque nous nous inscrivions en première
année de Doctorat d'Etat, nous voulions étudier le rôle joué par
l'institution parlementaire camerounaise-la première institution
politique de notre pays-dans la quête de l'indépendance du Cameroun.
Jeune fonctionnaire d'Assemblée, nous avions été frappé par la
richesse et le sérieux des débats contenus dans les Journaux officiels
de Débats de l'Assemblée, débats relatifs au problème de l'indépendance d
cameroun. Nous entendions, par une telle étude, lever un pan de voile
sur l'histoire peu connue de cette institution qui fut pendant longtemps
le seul haut lieu de réflexion de notre élite politique naissante.
Malheureusement, nous dûmes renoncer à ce projet initial dans la
mesure où certaines personnalités, parties prenantes à ces débats,
vivaient encore et occupaient parfois de hautes fonctions politiques
dans notre pays. Nous nous exposions par conséquent à une interprétation
complaisante des faits à l'égard de ces honorables députés dont nous
étions devenu le principal collaborateur en tant que Secrétaire général
de l'Assemblée.
Aussi, avions-nous cherché un terrain plus ou
moins neutre, tout en restant accroché au débat sur l'indépendance. Le
choix fut donc porté sur les Nations Unies, et ce d'autant plus vite que
la situation du Cameroun était elle-même liée à cet organisme. Tour à
tour, pays sous mandat de la SDN (1919-1945) et pays sous tutelle de
l'ONU (1946-1960), le Cameroun, décidément, était voué à
l'internationalisme, comme l'écrivait notre regretté directeur de thèse,
le professeur Engelbert MVENG dans son livre Histoire du Cameroun,
Edition de 1963 à Présence africaine.
C'est avec ce dernier que le
projet d'une étude sur l'examen de la question Camerounaise à l'ONU fut
arrêté. Une première mouture de la thèse fut déposée en février 1988 aux
fins de soutenance. Tous les rapports de pré-soutenance conclurent
favorablement à cette dernière. Un jury international fut même composé.
Mais, pour des raisons que nous tairons volontairement ici, cette
soutenance n'eut pas lieu.
Monsieur le président du Jury,
Eminents membres du Jury,
Bien
avant la disparition du regretté Professeur Engelbert MVENG, nous
avions, ensemble, convenu de reformuler la thèse, celle-ci ne venant
toujours pas à soutenance. Le plan de travail fut repris en fonction
des remarques pertinentes qu'il avait formulées sur la première mouture
déposée en 1988.
La mouture finale lui fut présentée et son feu
vert donné pour la dactylographie. Sur ces entrefaites, malheureusement,
intervint sa mort tragique. Orphelin, nous nous tournâmes vers le chef
du département, le Professeur Joseph-Marie ESSOMBA, qui soumit le
problème au Conseil du département. Ce dernier demanda au professeur
KANGE EWANE de bien vouloir suppléer au vide créé par la disparition de
notre directeur en rapportant cette thèse.
Vous comprenez donc
aisément pourquoi sur la page de titre de notre thèse nous avons tenu à
faire figurer le nom du Regretté Professeur Engelbert MVENG comme
Directeur et celui du Professeur KANGE EWANE, comme Rapporteur.
Venant maintenant à l'objet de notre étude, notre exposé liminaire portera sur trois points :
1) La problématique de notre thèse et la méthodologie suivie ;
2) Le plan de travail adopté ;
3) Le contenu et les conclusions de la thèse en défense.
I- PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE
a) Problématique
Le
1er janvier 1960, l'ancien Cameroun sous administration française
accéda à l'indépendance. On eût cru que cet événement serait salué
partout et par tous avec chaleur et enthousiasme. Que non !
En
effet, la nombreuse littérature traitant peu ou prou de cette question
oppose deux courants. D'un côté, nombreux sont ceux qui estiment que
l'accession du Cameroun sous administration française à l'indépendance
constitue, à n'en point douter, un test réussi du régime international
de tutelle dans la mesure où les objectifs politiques, économiques et
sociaux énoncés dans la charte de l'ONU et l'accord de tutelle du 13
décembre 1946 ont été atteints.
Pour d'autres, par contre, les
progrès réalisés ont été insuffisants et les principes pas souvent
respectés par l'Autorité administrante. Selon eux, en effet, la France
n'a pas toujours accordé la primauté aux intérêts des habitants du
territoire sous tutelle en favorisant leur évolution vers la capacité à
s'administrer eux-mêmes. Au contraire, elle a toujours cherché à établir
une nouvelle forme, plus subtile, de dépendance politique, économique
et culturelle sur le cameroun. La conséquence en est que ce dernier
accéda à l'indépendance dans la désunion des cœurs de ses enfants, la
peur, l'inquiétude, voire dans les larmes et le sang.
Pour notre
part, une contradiction assez nette nous est apparue très vite entre,
d'une part, les principes énoncés par la Charte de l'Onu et l'Accord de
Tutelle- principes selon lesquels les populations du Cameroun devaient
bénéficier de la libre faculté de se doter, le moment venu, non
seulement d'une politique nationale, mais aussi des hommes chargés de
mettre en application cette politique -contradiction entre ces principes
d'une part, disions-nous, et la résolution 1349 (XIII) que l'Assemblée
Générale des Nations Unies vota le 13 mars 1959 par 56 voix pour, zéro
contre et 23 abstentions, d'autre part. Par cette résolution, en effet,
l'Assemblée générale de l'ONU :
1°) reconnut l'option du Cameroun pour l'indépendance le 1er janvier 1960
2°) décida de la levée simultanée de la tutelle française sur le Cameroun
3°)
exprima sa confiance que des élections auraient lieu le plus tôt
possible après le 1er janvier 1960 pour la formation d'une nouvelle
Assemblée appelée à prendre des décisions concernant la mise en place
des institutions ;
4°) recommanda enfin que le Cameroun fût admis comme membre de l'ONU à son accession à l'indépendance.
L'objet de la présente thèse est donc de déterminer si cette
contradiction est fondée ou non. Et si oui, quelle en fut la trame ? il
s'agit d'examiner et d'apprécier la procédure adoptée par l'ONU, organe
tutélaire, pour résoudre le problème national Camerounais au regard
des principes édictés par la Charte et l'Accord de tutelle d'une part et
des enjeux politiques, économiques et sociaux suscités auprès de
l'Autorité administrante par un si long mandat, d'autre part.
En
somme, notre thèse s'attache principalement à étudier la nature et
l'enchaînement des forces, facteurs et processus intervenus au sein de
l'ONU pour aboutir à la résolution 1349 (XIII) de l'Assemblée générale
le 13 mars 1959.
B) Démarche-documentaire
Dans nos
recherches, nous avons consulté les sources conventionnelles de la
reconstruction historique : archives, procès-verbaux des débats,
interviews, monographies, articles de journaux. Malheureusement, si ces
sources ont été nécessaires pour la reconstruction chronologique des
événements, il n'en demeure pas moins qu'elles étaient insuffisantes
quant à la détermination des raisons profondes ayant motivé l'Assemblée
générale à prendre sa résolution. C'est ainsi par exemple qu'il ne nous a
pas été possible de mettre la main sur la documentation émanant du
Gouvernement français en direction de sa mission à New York. En effet, à
Paris, que ce soit à la rue Oudinot (archives d'Outre-mer) ou au Quai
d'Orsay (Ministère des Relations extérieures), il a été opposé un non
catégorique à notre demande de consultation des archives postérieures à
1955.
Pour colmater cette brèche, nous avons dépouillé un
grand nombre de monographies et toute la documentation souterraine
(thèses, mémoires, articles scientifiques) traitant peu ou prou de notre
sujet. En somme, notre itinéraire documentaire s'est déroulé en trois
étapes : camerounaise, européenne et américaine, étapes au cours
desquelles nous avons interrogé les documents et les personnes.
L'étape camerounaise a consisté à recenser, à dépouiller et à analyser
les archives nationales et celles de l'Assemblée nationale. Aux Archives
nationales, nous avons consulté 14 dossiers relatifs aux affaires
politiques et administratives (APA) et 17 autres dossiers couvrant la
période étudiée.
Aux archives de l'Assemblée nationale, nous
avons dépouillé et analysé les débats de 9 sessions de l'ARCAM
(1947-1952), de 14 sessions de l'ATCAM ( 1952-1957) et 6 sessions de
l'ALCAM ( 1958-1960).
Au Cameroun enfin, nous avons interrogé
les hommes et les femmes, acteurs ou observateurs de la scène politique
de la période couverte par notre étude. Beaucoup nous ont cependant
demandé de taire leurs noms.
En Europe et surtout en France, nous
avons dépouillé et examiné 17 dossiers des archives coloniales de la
France portant sur le Cameroun à cette époque. Le séjour français a
surtout été utilisé à la recherche, à la collecte, au dépouillement et à
l'analyse des documents écrits : monographies, rapports, études,
articles de journaux dont la liste se trouve en bibliographie à la fin
de la thèse.
A New-York, siège de l'ONU, la moisson a été
abondante. Nous avons passé à la loupe les documents officiels des
Nations Unies relatifs aux 14 sessions de l'Assemblée Générale
(1946-1960), aux missions de visite (1949-1952 –1955-1958) , aux
rapports annuels de l'Autorité administrante et aux pétitions etc…
II- PLAN DE LA THESE
Au
regard de la problématique posée et fort de la masse d'informations en
notre possession, nous avons opté pour un plan combinant à la fois
l'approche séquentielle et l'approche thématique. Mais, il nous faut
avuer que ce ne fut pas facile de persuader notre Directeur de thèse sur
cette option.
Selon lui, en effet, les trois thèmes majeurs se
dégageant du débat Onusien (indépendance, réunification, rapports avec
l'Union française) devaient constituer les trois axes principaux sur
lesquels devait être élaboré notre plan.
Sans rejeter ce point
de vue pertinent, nous lui avons néanmoins fait remarquer que, en ce
domaine, nous n'allions rien innover. Car, d'autres avant nous, ont déjà
traité de ces thèmes. Par contre, nous avons pu nous rendre compte que
dans la plupart de ces études, le débat onusien était parcellaire et
souvent incohérent.
Nous voulions donc colmater cette brèche en
consacrant toute une étude à l'examen de la question camerounaise à
l'Onu. Car, il est bon aussi que les Camerounais sachent comment l'ONU a
assumé sa tutelle sur le Cameroun pendant les quatorze années de cette
dernière. Convaincu par cette argumentation, quitus nous fut donné
d'adopter ce plan.
Ce dernier est un triptyque :
Dans la
première partie intitulée : " Le problème National Camerounais à l'ONU :
Les Forces en présence", nous définissons d'abord les origines du
problème national Camerounais tel qu'il s'est posé aux Nations Unies au
regard des principes édictés par la charte de cet organisme. Ensuite,
nous étudions les forces en présence qui sous-tendent ce problème :
forces internationales, forces colonialistes et forces nationalistes.
L'article 76, alinéa b) de la Charte dispose, en effet, que l'une des fins essentielles du régime de Trusteship est de
" Favoriser leur évolution progressive vers la capacité de
s'administrer elles-mêmes ou l'indépendance, compte tenu des conditions
des aspirations librement exprimées des populations intéressées et des
dispositions qui pourront être prévues dans chaque accord de tutelle."
Ce
dernier fut justement signé entre la France et la Grande-Bretagne le 13
décembre 1946 en ce qui concerne le Cameroun et le Togo, sans avoir
été soumis à l'approbation préalable des populations camerounaises,
contrairement à ce qui fut déclaré par Douala Manga Bell et le Dr
Aujoulat, le premier le 11 novembre 1946 devant la IVè commission, le
second le 13 décembre 1946 en séance plénière de l'Assemblée générale.
Ledit
Accord donnait à la France " pleins pouvoirs de législation,
d'administration et de juridiction" sur le Cameroun qu'elle devait "
administrer selon la législation française, comme partie intégrante du
territoire français" (article 4, alinéa 1).
Ainsi, les
programmes de la Charte et de l'Accord de tutelle s'opposent : la charte
incarne les principes, alors que l'Accord de tutelle dévoile les enjeux
de la France. La scène de l'ONU a donc opposé deux acteurs principaux :
les forces nationalistes camerounaises qui revendiquaient l'application
à leur pays des principes édictés par la Charte, alors que les forces
colonialistes incarnées ici par la France, cherchaient à pérenniser leur
présence au Cameroun pour préserver leurs intérêts. Une troisième
force, force internationale", incarnait les idéaux de l'organisation
mondiale en jouant les arbitres.
La deuxième partie de notre
travail est intitulée " Le difficile équilibre des forces en présence :
1949-1958" Elle nous permet de suivre l'évolution de la question
camerounaise à l'ONU jusqu'à sa 12ème session (décembre 1957). Cette
évolution se déroule en trois étapes :
de 1949 à 1952 : la
question camerounaise est soumise à l'examen du seul Conseil de tutelle
qui fait montre d'un dilettantisme notoire.
de 1952 à 1955 : la
question camerounaise est examinée, non plus par le seul Conseil de
tutelle, mais également par la IVè Commission de l'Assemblée générale.
C'est au cours de cette étape que les revendications nationales
camerounaises vont être portées très haut et recevoir l'attention mérité
de l'Assemblée Générale. Des résolutions pertinentes vont être adoptées
subséquemment. C'est l'âge d'or des revendications nationales
camerounaises.
de 1955 à 1957 : contrairement à la période
précédente, celle-ci sera marquée par un débat inégal. Le principal
parti nationaliste camerounais, l'UPC, a été dissous par un décret du 13
juillet 1955. Les nationalistes camerounais auront dont du mal à
effectuer le déplacement de New-York, contraint à la clandestinité et
soumis à toutes sortes de tracasseries administratives. Seules les
forces colonialistes et leurs suppôts auront voix à la tribune de l'ONU.
La
troisième partie intitulée : " Quand les enjeux l'emportent sur les
principes : 1958-1960" est consacrée principalement à la 13ème session
de l'ONU (16 septembre 1958-20 mars 1959), à l'issue de laquelle le sort
du Cameroun fut scellé par le vote de la résolution 1349 (XIII) du 13
mars 1959. C'est un véritable coup de théâtre. Car, pendant que les
nationalistes camerounais attendent que l'ONU appuie leurs
revendications élections préalables camerounais avant levée de la
tutelle, élaboration d'une constitution, détente politique par
l'adoption d'une loi d'amnistie totale et inconditionnelle, abrogation
du décret de dissolution de l'UPC, etc…),la résolution 1349 (XIII)
vint subitement mettre fin à la tutelle de l'ONU sur le Cameroun pour
le 1er janvier 1960 en renvoyant les élections générales après cette
date. Légitimité ou parjure ? Telle est la question à laquelle nous
tentons de répondre dans notre conclusion.
III- CONTENU ET CONCLUSIONS DE LA THESE
Cette
thèse se résume en un scénario, riche en péripéties et en suspenses,
mettant en présence sur la tribune des Nations Unies trois acteurs :
d'un côté, les nationalistes Camerounais; de l'autre, la France,
puissance tutélaire, et entre les deux, les Nations Unies, arbitre
présumé impartial.
Le décor de la scène est le monde politique
international agité par cet ouragan de liberté de l'après-guerre,
préludant à l'écroulement des empires coloniaux.
Comment se déroule la scène ?
Voici les Nations Unies, encore jeunes, bourrées d'idéaux et
d'illusions, mais criblées d'intrigues, de tensions et de luttes
hégémoniques des grandes puissances. Elles sont pour l'heure la "
principale expression institutionnelle de l'exigence d'une plus grande
égalité". Les années cinquante amorcent la transformation de
l'institution : de nombreux nouveaux Etats deviennent membres et
expriment leurs revendications, donnant ainsi aux faibles du monde une
importance aussi inattendue que soudaine.
La force de ce
mouvement se reflète par le fait que les Etats qui possèdent encore des
colonies sont de plus en plus sur la défensive dans une enceinte
qu'utilisent régulièrement et efficacement ces Etats nouvellement
émancipés en s'en prenant au colonialisme. L'Organisation mondiale sera
donc utilisée par ces nouveaux Etats pour accuser les puissances
coloniales devant le verdict de l'opinion internationale et pour
légitimer les mesures –y compris le recours à la force- visant à mettre
fin au colonialisme.
Au sein de ces nations, les Etats-Unis
d'Amérique constituent la principale puissance du nouveau système
international. Ils vont donc jouer un rôle non négligeable dans ce vaste
mouvement de décolonisation, car les grandes puissances coloniales
dépendent d'eux à des degrés divers.
Mais il ne faut pas
surestimer ce rôle. Car, les Américains, malgré leur soutien au principe
d'autodétermination, ont souvent eu une attitude très prudente à
l'égard de la décolonisation. Le plan américain pour l'après-guerre ne
laissait aucune place à un démantèlement pur et simple des empires
coloniaux par l'accès des colonies à l'indépendance. Au contraire, selon
l'opinion dominante, la plupart des colonies n'étaient pas encore
prêtes pour l'indépendance et ne le seraient pas avant un temps
considérable. Le plan initial américain, rejeté par les Britanniques et
consistant à placer toutes les colonies sous la tutelle des Nations
Unies, n'avait nullement été conçu dans l'intention secrète de
promouvoir une décolonisation rapide, mais visait plutôt à éviter les
rivalités coloniales de l'après-guerre.
En effet, mis à part
les effets ultérieurs de la guerre froide qui suscitèrent des
"nécessités" particulières, il n'est pas injuste d'interpréter
l'anticolonialisme américain d'après-seconde guerre mondiale à peu de
choses près comme l'anticolonialisme de Wilson une génération plutôt.
Les
Etats-Unis ont encouragé indirectement la décolonisation, ne serait-ce
que par la vertu des sympathies qu'ils proclamaient. Ils n'avaient
d'ailleurs nullement l'intention de compromettre leurs relations avec
ceux qui étaient devenus un enjeu majeur dans la guerre froide en
mettant en cause l'absence de rigueur avec laquelle les nouveaux Etats
se créaient en Afrique.
Tel est donc le visage que présentent
les Nations Unies au moment où la question camerounaise est examinée par
cette organisation mondiale. De cette dernière, deux organes se
détachent: le Conseil de tutelle, véritable responsable du destin des
pays confiés à la tutelle de l'ONU, mais dont il y a lieu de déplorer le
dilettantisme. L'autre organisme est la IVe Commission de l'Assemblée
générale. Elle apparaît comme une tribune ouverte au monde entier. C'est
devant elle que les Pétitionnaires camerounais, les Nationalistes et
la France viennent clamer leurs doléances et leurs prétentions.
L'autre
acteur est la France, puissance tutélaire. C'est elle qui semble
dominer la scène. Car, elle ne veut pas seulement administrer à la face
du monde la preuve éclatante du succès de sa politique dans
l'application de la Charte et de l'Accord de tutelle, mais elle regarde
aussi et surtout l'avenir, elle doit perpétuer par tous les moyens, sa
présence au Cameroun et même la renforcer après l'indépendance, quand
elle n'aura plus de comptes à rendre ni à l'Assemblée générale, ni au
Conseil de tutelle des Nations Unies.
Quelle que soit l'agitation
des pétitionnaires camerounais à l'ONU, la France a arrêté ses
positions au départ : au Cameroun, il n'y aura d'indépendance que celle
octroyée par elle, et le pouvoir ne sera remis qu'aux Camerounais qui
souscriraient à cette politique de la France.
Le troisième
acteur, ce sont les pétitionnaires Camerounais. Ils sont issus de divers
horizons. Le plus grand nombre est constitué de thuriféraires de la
France. Sur l'indépendance et la réunification du Cameroun, ils sont
vagues, parfois sceptiques. Sur le reste, ils n'ont rien d'original à
proposer : ils répètent ou amplifient la voix de la France.
Un groupe important de ces pétitionnaires est constitué des adversaires d'un certain Um Nyobe.
Ils
contestent son mandat au nom de l'Assemblée territoriale, et leurs
arguments sont, du point de vue de la légalité, les plus sérieux.
Quant
aux autres pétitionnaires (associations traditionnelles, communautés
villageoises, partis politiques, etc…), ils manquent de consistance. La
plupart se répètent ou répètent, les uns l'UPC, les autres la France.
Tous prétendent pourtant parler au nom du peuple camerounais.
Un
seul pétitionnaire, Um Nyobe, pourtant contesté par la France, l'Atcam
et par une foule importante de pétitionnaire, les domine tous de la
tête. Sa première intervention à la tribune des Nations Unies le 17
décembre 1952, révèle sa maturité politique, sa compétence, sa
connaissance des problèmes internes de son pays, une analyse rigoureuse
des problèmes touchant l'indépendance et la réunification, et une
certaine familiarité avec l'actualité politique internationale. Cette
première intervention va lui valoir un certain auditoire à l'ONU, il va
acquérir du poids au fil des ans et des sessions. On fera encore appel à
lui, à trois reprises, devant la IVè commission de l'Assemblée
générale.
Mais que veulent exactement Um Nyobe et tous les nationalistes purs ?
Ils
revendiquent l'application à leurs pays des dispositions de la Charte
qui prévoient une alternative quant à l'issue définitive du régime de
tutelle : autonomie ou indépendance. Les Nationalistes camerounais ont
opté pour cette dernière. Ils en réclament immédiatement l'avènement en
même temps qu'ils souhaitent la réunification de leur pays tel que
constitué avant 1916. Enfin, ils s'opposent à l'intégration du Cameroun
au sein de l'Union française.
En somme, le programme des
nationalistes camerounais s'oppose à celui de la France et vice-versa.
Mais au moment où arrive le dénouement, tout se passe comme si la
France, ayant écarté les forces nationalistes tout en récupérant leur
programme, finit par imposer sa solution à elle au problème camerounais.
Et c'est effectivement cela qui a eu lieu.
Comment la France y
est-elle parvenue alors que tout semblait donner raison aux
Nationalistes camerounais ? Chacun des trois acteurs a contribué dans
une certaine mesure à la réponse à cette question, avons-nous montré
dans cette thèse.
D'abord les Nations-Unies, à travers leurs
organes (Conseil de tutelle, IVè commission, Assemblée générale), elles
ont dérogé à leur devoir. Manipulées par les puissances colonialistes,
affaiblies par la structure bipolaire du pouvoir et du conflit
concomitant pour l'hégémonie entre les Etats Unis d'Amérique et l'Union
Soviétique, elles sont devenues une force d'obstruction pour ceux-là
qu'elles devaient libérer. Et quant elles ont bien voulu lâcher du lest,
comme ce fut le cas avec le vote de la résolution 1349 (XIII), c'était
surtout pour que le Cameroun servît de modèle de réussite au régime
international de tutelle.
On pourrait donc déplorer le fait que
l'ONU ne se soit pas beaucoup préoccupée, ni de la qualité de
l'indépendance promise, ni de l'avenir du Cameroun, Certes, sur quelques
points, le soutien idéologique découlant des principes de la Charte a
pu aider, dans une certaine mesure, au développement du mouvement
d'émancipation du Cameroun. Il se peut toutefois que les activités du
Conseil de tutelle et surtout de la IVe Commission aient aiguillonné la
bonne volonté de la France à entreprendre quelques réformes.
Il
se peut aussi que ces mêmes activités de l'ONU aient renforcé la
détermination de la France à ne pas accorder de réformes sous la
pression internationale. La contribution la plus évidente de l'ONU pour
le Cameroun, au cours de la période étudiée, fut la mise à disposition
d'un aréopage hostile dans sa majorité au maintien prolongé de la
domination française au Cameroun.
Il y a ensuite la France ;
c'est elle qui a mené le jeu de bout en bout. Elle a manipulé l'ONU, les
missions de visite sur le terrain, des camerounais plus ou moins
immatures. Elle a donc imposé la solution qui était la sienne :
l'indépendance du Cameroun sera la sienne, telle qu'elle l'a préparée et
voulue. Les hommes au pouvoir seront aussi ses créatures, tirées
presque du néant par elle et inconditionnellement vouées à sa politique.
Il
y a enfin les Nationalistes Camerounais. L'échec des revendications
nationales camerounaises à l'ONU est d'abord et avant tout le fait des
nationalistes eux-mêmes et surtout de l'homme qui a incarné le
nationalisme pur : Ruben Um Nyobe.
Et cet échec se situe dans la
logique de tous les échecs de la carrière politique de Um Nyobe. Comment
s'en étonner ? que Um Nyobe ait choisi de placer son quartier général
chez lui à Boum-Nyebel, est un choix politique. Que la mort l'ait
surpris seul, sinon abandonné, probablement trahi par les siens, n'est
pas un pur hasard. L'option pourrait être qualifiée d'utopique de ce que
le grand historien arabe Ibn Khaldoun considère comme la clé de
l'histoire, c'est- à- dire la tribalité.
Comment lui, Um Nyobe,
vice-président du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), a-t-il
claqué la porte au nez à ses camarades d'hier, quand on sait que ces
derniers s'appelaient Houphouet-Boigny, Lamine Gueye ou D'Arboussier ?
Comment
n'a –t-il as compris que, après ses auditions, à l'ONU comme en France,
on avait plus au moins admis que seules ses thèses à lui, Um Nyobe,
détenaient les clés de l'avenir du Cameroun? Dès lors, la question était
celle de savoir à qui confierait-on les rênes du Cameroun indépendant
et unifié.
Comment Um Nyobe n'a-t-il pas compris que le seul
véritable enjeu était désormais le pouvoir ? Or, pour avoir ce pouvoir,
deux conditions eussent suffi : rassurer l'ONU et rassurer la France en
acceptant de négocier et de faire des concessions. En repoussant la
médiation de Mgr Mongo, Um, parce que convaincu et aveuglé par la
justesse de ses idées, n'a pas fait preuve de réalisme politique.
Il
n'a pas compris que la partie qui se jouait à l'ONU était d'abord et
avant tout un jeu politique. Comment pouvait-il penser que la France se
saborderait ? il était évident que pour la France, ayant compris que
l'indépendance et la réunification étaient inéluctables, il ne restait
plus qu'à mettre tout en œuvre pour que cette indépendance et cette
réunification sauvegardassent au mieux les intérêts de la France au
Cameroun.
La France a donc fait ce que, en bonne politique (Real
politik), elle a cru devoir faire : manipuler les factions à ONU,
manipuler les Camerounais et leurs formations politiques, écarter tous
ceux qui pouvaient de près ou de loin, apparaître comme des obstacles,
c'est-à-dire l'UPC et son leader Um Nyobe, mais également les
nationalistes modérés mais peu accommodants comme Soppo Priso, le Dr
Bebey-Eyidi ou les trouble-fête comme André –Marie Mbida. La France a
donc suivi ce plan avec une logique implacable.
On pourrait toutefois
regretter que dans cette logique, il n' y eût aucune place ni pour la
morale la plus élémentaire, ni pour le respect des droits de l'Homme,
encore moins pour les lois internationales.
Um Nyobe a été
assassiné bassement, sans armes, torse nu, seul dans la nuit, alors
qu'il dormait sous l'œil vigilant d'une vielle femme dont la voyance,
disait-on, avait jusque là- assuré sa sécurité. Il n'y avait aucune
raison d'abattre un homme sans défense. Il suffisait de l'arrêter. On
préféra l'assassiner. Par cet acte, la France a profané la mission
sacrée que les Nations Unies lui avaient confiée. Comment a-t-elle pu
penser que, pour sauvegarder ses intérêts au Cameroun, il lui fallait
commettre un tel assassinat ?
Sur ce plan, c'est Um Nyobe, bien
que mort, qui a gagné la bataille : Le Cameroun est devenu indépendant,
le Cameroun s'est réunifié, le Cameroun n'a pas été intégré dans
l'Union Française. C'est littéralement le plan de Um Nyobe qui a été
appliqué par la France.
En revanche, la mort de Um Nyobe est
aussi un échec pour le nationalisme camerounais tout entier, il y a
dévoilé sa propre immaturité. Alors que les nationalistes sentaient le
vide se faire autour d'eux à l'ONU, au moment où la France détournait
d'eux, par un épais réseau d'intrigues, la sympathie des pays membres ;
ils n'ont pas cherché à leur tour à se créer de nouvelles alliances et
de solides amitiés. Au contraire, leurs sympathies avec les pays
communistes de l'Est et le Parti Communiste Français particulièrement
semblaient être de pures aventures, aussi téméraires que naïves, avec
l'inconnu. Pour gagner la carte de l'ONU, il eût fallu jouer avec ceux
qui, réellement, y avaient le pouvoir.
Le même vide s'est creusé autour de ces Nationalistes Camerounais en Afrique
L'UPC,
née du RDA, a rompu avec ce dernier sans ménagement. Les tentatives de
trouver auprès de la Guinée de Sékou Touré ou du Ghana de Nkrumah, un
autre soutien appuyé sur un radicalisme exacerbé, dénotent, une fois de
plus, de l'immaturité profonde de la politique de l'UPC et de son
leader.
A l'intérieur du Cameroun, le même vide s'est creusé. La
passage à la violence a privé l'UPC et son leader, de la sympathie d'une
bonne partie de la population. Des crimes odieux comme les assassinats
du Dr Delangue et de son colistier, Samuel Mpouma en 1956 ou celui du
député Wanko en 1957, devaient ouvrir le processus aboutissant au drame
final, à la mort, le 13 septembre 1958, de Ruben Um Nyobe.
La
France avait perdu la première bataille, celle de l'indépendance, de la
réunification, de la non intégration du Cameroun dans l'Union Française :
ce sont les idées de Um Nyobe qui l'avaient emportée.
Mais Um
Nyobe, à son tour, venait de perdre la deuxième bataille qui était celle
du pouvoir. En 1960, au moment de l'indépendance du Cameroun, la France
avait les mains libres et disposait réellement de tous les pouvoirs.
Elle a donc choisi, pour gouverner le Cameroun indépendant, les seuls
hommes qui, à son avis, devaient y sauvegarder et promouvoir ses
intérêts. Plus de quarante ans après, pourrait-on dire que le cordon
ombilical liant le Cameroun à la France a été coupé ? Nous laissons le
soin aux générations futures d'historiens, avec le recul du temps, de
répondre à cette question.
Pour notre part, nous restons
convaincu, et nous l'avons montré tout au long de cette thèse, que,
jusqu'à la veille de l'indépendance du Cameroun, tout au moins, la
France a voulu maintenir son influence sur le Cameroun pour y préserver
ses intérêts économiques, politiques et sociaux qu'un mandat de quarante
ans avait inévitablement créés.
REMERCIEMENTS
Nous
tenons à remercier très profondément toutes celles et tous ceux qui, de
près ou de loin, ont contribué à la réalisation ô combien difficile de
cette thèse. Qu'ils veuillent trouver ici l'expression de notre profonde
gratitude. Nous pensons spécialement :
- Au regretté
Professseur Engelbert Meng, notre Directeur de thèse et notre Maître
depuis nos premiers pas dans la recherche historique. Le Maître est
mort, mais vive le maître !
- Au professeur Kange Ewane qui a bien voulu rapporter ce travail en lieu et place de notre Directeur décédé.
- Aux Eminents Professeurs, membres du Jury, pour leur disponibilité et leur patience ;
- Au regretté El Hadj Ahmadou Hayatou, ancien Secrétaire Général de l'Assemblée Nationale pour son extrême générosité ;
-
A M. Alberto G. Aujero, Ernesto Ramos et Maureen Ratyinski du centre
de Documentation et de Recherches des Nations Unies à New-York, pour
leur grande disponibilité ;
- A M. et Mme Mpouel me Bala, jadis en
poste à la mission du Cameroun auprès de l'ONU à New-York, pour leur
chaleureuse hospitalité ;
- A M. et Mme Mbida Essame, jadis en poste à la Banque Mondiale à Washington D.C. pour son précieux concours ;
-
A MM Michel Meva'a m'Eboutou, Remy Ze Meka, Lekene Donfack et Jean
Jacques Ndoudoumou pour leur aide financière et matérielle appréciable.
-
A ma chère épouse Anita, mes enfants et mes parents, notamment
Bernadette Eveedang Mbozo'o en poste au secrétariat général ACP à
Bruxelles, pour leur soutien affectif et moral ;
- A MM. James Nfokolong et Jean Stéphane Biatcha qui ont bien voulu relire la première mouture de cette thèse ;
-
Aux honorables dames qui se sont occupées de la saisie de ce long
document : Françoise Mouangue, Christine Ngoungoure, Marlyse Njanga,
Hélène Moundo, Marie-Victoire Mbea, Jacqueline Nouma, Sylvie-Ariane
Nga'ah, pour leur gracieuse patience ;
- A M Ekendjoum Etouke,
Valentin Mbozo'o, Belinga et D. Bimogo qui se sont occupés de la mise en
page et de l'édition finale de ce travail respectivement ;
La liste
est longue et j'en oublie certainement beaucoup. Que tous ceux-là
veuillent bien trouver ici l'expression de ma sincère gratitude.
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