lundi 5 décembre 2016

FERDINAND-LEOPOLD OYONO : GRAND COMMIS DE L’ETAT

Par Samuel Efoua Mbozo’o
Chargé de Cours. Université de Yaoundé I

F.L. Oyono est un grand commis de l’Etat hors pair. Une carrière exceptionnelle - près d’une cinquante d’années de bons et loyaux services au bénéfice de l’Etat camerounais - qui l’aura conduit tantôt à l’étranger, comme diplomate, où il a fait entendre haut et fort la voix du Cameroun, tantôt à la tête de divers départements ministériels, où, à chaque fois, il a marqué d’une empreinte particulière son passage.
La vie de F.L. Oyono est un témoignage riche d’enseignements : il fait partie de la première cuvée de l’élite intellectuelle du Cameroun et, comme tel, il a connu la période coloniale, l’indépendance du Cameroun, la réunification des deux Cameroun, le régime du Président Ahidjo et se retrouve encore aujourd’hui aux premières loges de la scène politique nationale et internationale sous le régime de son ami Président Paul Biya. Un parcours exceptionnel digne d’être inscrit au palmarès des records de longévité des carrières.
Pourtant, rien dans son environnement familial et scolaire ne prédisposait F.L. Oyono à une vie professionnelle aussi riche que longue. Dès lors, comment expliquer une telle réussite ? Comment comprendre un tel parcours exceptionnel sans y associer la main de dieu ou celle des ancêtres ? Autant de questions qui montrent combien il est difficile de parler de cet homme qui n’a pas encore cessé de servir son pays.
L’historien récuse à parler des contemporains, surtout de leur vivant, par crainte d’être subjectif ou complaisant. Mais l’honnêteté intellectuelle voudrait aussi que l’historien reconnaisse que cinquante ans, c’est l’âge adulte, l’âge d’or dans la vie d’un être humain .En effet ,dans une société comme la nôtre, où la mémoire collective a tendance à vite oublier ; dans une société où les archives sont mal conservées ; dans une société où l’espérance de vie tourne autour de cinquante ans et où les personnes ressources sont de plus en plus rares, nous pensons honnêtement qu’il serait bon de commencer à "enquêter", sur les hommes qui ont marqué l’histoire de notre pays au cours des cinquante dernières années afin que, comme l’écrivait Hérodote d'Halicarnasse, père présumé de l'Histoire ,« les actions accomplies par les hommes ne s’effacent avec le temps .»
En acceptant donc de participer à la rédaction de ce livre sur F.L.Oyono, nous voudrions apporter notre modeste contribution à l’écriture de l’Histoire de notre pays et surtout des hommes qui l’ont faite ou qui la font.
Parler de F.L.Oyono, grand commis de l’Etat, revient par conséquent à parler dans un premier temps de ses origines familiales ; ensuite, de sa formation académique et professionnelle ; enfin, des grandes étapes de sa carrière professionnelle en insistant surtout sur les principales actions posées par ce grand commis de l'Etat.

- Ascendance de F.L.Oyono
F.L. Oyono est né le 14 septembre 1929 à Ngoulemakong, dans l’actuel département de la Mvila, province du Sud, de l’union de Jean Oyono Etoa et de Agnès Mvodo . Il est un Fong de Ngoazip I, village d’origine de son père. Ce dernier descend d’une haute lignée dans la famille Fong. En effet, Jean Oyono Etoa est le fils de Akam Ntse, et neveu d’un homme illustre dont le nom sert d’exclamation proverbiale chez tous les Fong : Oyono Etoa Mekong . Le père de F. L. Oyono fréquenta l’école allemande à Ngovayang jusqu'au départ des Allemands du Cameroun en 1916. Mais par la suite, Oyono Etoa fut récupéré par les Français, nouveaux maîtres du Cameroun. Il se remit à l’école française et le 24 Juillet 1922, il fut reçu au certificat d’études primaires élémentaires. Et dès le 1er janvier 1923, il fut recruté écrivain-interprète et affecté successivement à Yaoundé au cabinet du gouverneur, à Ebolowa au cabinet du chef de région, à Ngaoundéré, à Tibati,à Djoum,à Ebolowa et à Mbalmayo. Sa carrière fut subitement interrompue en 1956 par l’administration française.
En effet, Oyono Etoa a encouru la disgrâce de l’administration coloniale qu’il avait si longtemps et si loyalement servie par la faute de son fils ,F. L. Oyono, dont les premiers romans récemment publiés en France n’avaient pas manqué de susciter de l’indignation contre ce jeune turbulent et une animosité contre son père. Sans le vouloir et sans le savoir, le fils venait de faire le malheur de son père.
Il se retira dans son village à Ngoazip et se convertit à la vie de paysan. Il mourut le 22 juin 1968 à l’hôpital central de Yaoundé.
Du côté de sa mère, l’ascendance de F. L. Oyono n’est pas moins illustre. Sa mère,Agnès Mvodo , était en effet la fille de Belinga Ekodo, chef supérieur des Bené, dont la chefferie, héréditaire, se perpétue encore à son siège, Ngoulemakong. De l’union de Oyono Etoa et de Agnès Mvodo naîtront donc F. L. Oyono (en 1929) et Elisabeth Mfoumou (en 1934).
F.L.Oyono passa son enfance à Ebolowa ,notamment au quartier Abang au croisement de la rue qui conduit à l’église Ste Anne en briques rouges et de la route qui mène vers Lolodorf. C’est de là que ,dès 1934 , le jeune F.L.Oyono se rendait chaque matin à l'école officielle régionale d’Ebolowa alors que la petite Mfoumou allait à celle de la mission catholique, distante de 150 mètres de la maison.

- Formation académique et professionnelle
F.L. Oyono a donc fait ses premiers pas à l’école à l’âge de 5 ans. Trop jeune,ses progrès furent irréguliers, gênés notamment par la deuxième Guerre Mondiale. En 1944, F. L. Oyono obtint son certificat d’études primaires élémentaires(CEPE), deuxième du centre d’Ebolowa, et réussit au concours d’entrée au cours de sélection d’Ebolowa. Il y passa moins d’un an (mars-décembre 1945) car, il fut reçu à l’examen d’entrée à l’Ecole primaire supérieure de Yaoundé.
En 1946, un autre champ d’expérience s’ouvrit devant F.L. Oyono avec son admission à cette école. Celle-ci était à l’époque le seul établissement public d’enseignement secondaire du territoire. L’admission en son sein était sélective. Créée le 25 juillet 1921 par arrêté du gouverneur de la République française, cette institution scolaire comprenait cinq sections :
- enseignement,
- administration,
- poste,
- géométrie-topographie,
- médecine.
L’Ecole offrait à tous ses élèves un internat avec un règlement assez sévère : sorties limitées à une par semaine, interdiction de garder sur soi des vivres, de l’argent, brimade. Mais en revanche, les élèves étaient bien soignés et bien nourris. Ils recevaient tout de l’établissement : fournitures scolaires, literie, vêtements, etc. L’enseignement dispensé dans cette pépinière de fonctionnaires avait pour but de former des commis de tous ordres, sachant en plus de la lecture et de l’écriture, assez de calcul et de notions financières et juridiques pour tenir les postes subalternes, certes, mais indispensables pour une bonne administration coloniale.
F.L. Oyono opta pour la section administration. Il y passa deux ans en compagnie des camarades tels que Koungou Edima, Bayart Nna Ze, Fritz Ondoa ,Okono Abessolo, etc.… En 1948, suite à l’ouverture d’un lycée à Nkongsamba, les élèves de l’Ecole primaire supérieure, section administration, furent transférés dans cette ville. Ils s’inscrivirent en classe de 4e pour suivre un programme d’enseignement semblable aux établissements secondaires de France.. En 1950, son père décida de l’envoyer continuer ses études en France à ses frais .
C’est à Provins, petite ville de Seine-et-Marne., que F.L. Oyono reprit ses études secondaires en 1950, en classe de seconde; il acheva ses études secondaires en 1954 avec la réussite au baccalauréat, deuxième partie, (mention très bien) . Dès lors, s’ouvrirent à lui les portes de la prestigieuse université de Sorbonne à Paris.
Il s’inscrivit à la faculté de droit et sciences économiques de cette université et trois ans après, en 1957, il en sortit licencié. Il entra ensuite à l’Ecole nationale d’administration (ENA) de Paris où il opta pour la section diplomatie. Par la suite, le diplômé de l’ENA, poursuivit sa formation professionnelle à travers des stages au quai d’Orsay en 1958, et puis à l’ambassade de France en Italie (Palais Farnèse à Rome) en 1959 où il s’imprégna des réalités et surtout des canons régissant la profession de diplomate .
Certains proches et camarades de F.L.Oyono sont étonnés aujourd’hui par le succès diplomatique et littéraire de ce dernier et par sa très longue et riche carrière professionnelle. Pourtant, dans son enfance et sa jeunesse, disent-ils, F.L. Oyono ne fut pas un élève modèle. Fort en français (dictée et rédaction), faible en calcul, il était surtout un élève turbulent et indiscipliné, farceur sans insolence ; élève moqueur, il n'épargnait personne, élève ou maître. Mais tout cela était sans grande méchanceté. Car,F.L. Oyono était généreux et surtout avait le sens de l’amitié. On peut voir en lui une grande décontraction, un refus de dramatiser la vie, une volonté de la prendre plutôt telle qu’elle se présente, quitte, de temps en temps, à en rire malicieusement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire